Au-delà de la sécurisation de l’édifice et de l’adoption du parti de restauration à l’identique, le risque est d’aller trop vite, et sur fond de rivalité entre les acteurs, de manquer l’opportunité de repenser la cathédrale dans son contexte urbain
PARIS. Le 9 juillet 2020, soit plus d’un an après l’incendie, Emmanuel Macron d’abord tenté par un geste architectural susceptible de marquer son quinquennat se rangeait au principe de la restauration du dernier état connu de l’édifice, “dov’era, com’era”. En plein confinement, conférences de presse et documentaires patriotiques disponibles en ligne teintés de populisme prêchaient en faveur d’une volonté d’effacement d’un sinistre accidentel et honteux. Un retour à l’ordre et à la raison pour certains, une faillite et une démission pour les autres, qui voyaient dans l’accident une possible redistribution des cartes.
Un chantier de tous les records
Les opérations de déblaiement, de consolidation et de nettoyage du monument sont aujourd’hui presque achevées, et les risques d’effondrement des structures endommagées désormais écartés. Chacune des étapes est marquée au coin de la lourdeur des procédures, l’emphase de leur médiatisation, de même que leur coût faramineux, propre à faire perdre de vue les enjeux de l’intervention. Du délai de cinq ans proféré arbitrairement par Emmanuel Macron pour l’achèvement du chantier résulte qu’il faut faire vite: pas de place pour le débat. Mieux, l’en chef Philippe Villeneuve nommé à la tête de Notre-Dame en 2013 sans doute grand connaisseur “son” édifice mais peu connu pour son audace et les solutions innovantes a été reconduit après le sinistre sans autre forme de procès.
Le démontage du gigantesque échafaudage aux tubulures fondues et soudées entre elles élevé à la croisée du transept en vue de la restauration programmée de la flèche a été placé sous le feu des projecteurs, sans que ne soit jamais remise en question la disproportion de cette forêt de métal qu’aucune opération de ce type – la restauration d’une flèche – n’a jamais suscitée sur le sol français. Cette outrance a trouvé après l’incendie un prolongement logique dans les mesures de consolidation, qui ont notamment conduit à la mise en place d’une prolifération d’échafaudages et de sapines dont le surnombre a été stigmatisé par les connaisseurs, de même qu’au corsetage inconditionnel de la nef.
Spectaculaire, la pose de 28 cintres de huit tonnes chacun, placés sous les arcs-boutants pour contrer les éventuelles poussées des murs gouttereaux au vide – y compris au droit des travées non endommagées -, a nécessité la consolidation de toutes les substructures. Dans un pays où les décideurs désemparés sont à la fois peu connaisseurs en architecture, ignorants en matière d’intervention sur les édifices du passé et très peu en phase avec leur époque, cette théâtralité fastueuse correspond par ailleurs aux attentes du public.
Régulièrement dénoncée par la Cour des Comptes, la dilapidation de l’argent public dans la gestion des chantiers MH trouve sa caution dans l’alibi patrimonial et le monopole d’un savoir-faire dont les en chef seraient les seuls détenteurs. À cet égard, les propositions d’intervention contemporaines il est vrai farfelues qui se sont multipliées au lendemain du sinistre n’ont pas peu contribué à raffermir leur position. Toute velléité de consultation sur un plan technique, architectural ou patrimonial a été rejetée comme susceptible d’enrayer l’ordre de marche, étrangement confié à un haut responsable des armées, le général Jean-Louis Georgelin. Beaucoup ont critiqué cette précipitation adoptée pour un impératif de calendrier – les jeux olympiques de 2024 – que les générations futures auront tôt fait de juger dérisoire. Un désir d’immédiateté qui, au 19e siècle, n’aurait jamais permis à Lassus et Viollet-le-Duc de passer insensiblement d’une campagne de très gros entretien à la flamboyante cathédrale augmentée où se sont simultanément reconnus l’Église et l’État. La volumétrie d’hier de l’édifice sinistré sera donc rétablie à l’aide de chêne et de plomb, selon les techniques traditionnelles, comme si Notre-Dame se révélait incapable de trouver ses nouvelles attaches avec le monde d’aujourd’hui. Sous le faisceau des caméras, le Général et les principaux acteurs de la restauration à l’identique dont la Ministre de la Culture se sont récemment transportés en forêt de Bercé (Sarthe) pour y assister à la sélection des quelques sujets centenaires nécessaires au rétablissement de la flèche.
Les non-dits d’une loi sur mesure
Promulguée dès le 29 juillet 2019, la loi pour la restauration et la conservation de Notre-Dame de Paris comprenait plusieurs volets. Si elle offrait le cadre institutionnel propre à recueillir la manne financière qui s’est abattue sur le monument, elle conférait à l’Établissement Public créé à cette occasion un régime dérogatoire propre à l’affranchir des procédures et des retards de calendrier inhérents.
Pointé par certains, l’article 9 prévoyait une certaine latitude sur l’aménagement des abords et des accès au monuments. Était-ce une disposition propre à favoriser une réaffectation des fonds disponibles, c’est-à-dire la réalisation de certaines des hypothèses contenues dans le rapport de la Mission Île de la Cité confiée par François Hollande à Philippe Bélaval et à Dominique Perrault en décembre 2015 qui prévoyait un réaménagement complet de l’île? Présenté au public en février 2017, ce projet envisageait une mise en valeur de l’ensemble de ses espaces publics, la création de promenades plantées, la reconquête de tous les édifices institutionnels ainsi que l’exploitation de ses nombreuses infrastructures souterraines.
Pour aménager les abords
On vient d’apprendre que la ville de Paris s’apprête à lancer une consultation internationale pour le réaménagement des abords de la cathédrale l’île: parvis, crypte, quais et rues adjacentes. À l’issue d’une procédure de concertation locale et nationale, il est prévu que quatre équipes soient sélectionnées d’ici à la fin de l’été 2021. La stabilisation du chantier de Notre-Dame dans le seul giron des architectes en chef des Monuments historiques témoigne d’une séparation intellectuelle caractéristique du retard français en matière de stratégies patrimoniales entre ce qui relève du monumental et de l’urbain. Peut-on attendre de la simultanéité des interventions l’abandon de cette forme d’haussmannitude qui concourt au maintien de l’étanchéité entre le monument et le tissu dans lequel il s’intègre ? Ainsi que le résumait le critique Yvan Christ en 1960 de manière lapidaire, “une cathédrale gothique n’a jamais été conçue pour décorer une place!”. Quelle cohérence urbaine et quel gain attendre d’une cathédrale reconstruite indépendamment du sort du parvis, des espaces publics, ainsi que des équipements-îlots progressivement vidés de leur substance – l’hôtel-Dieu, le Palais de Justice -, reconvertis un à un au fil des circonstances et des jeux d’acteurs? La Ville et l’État, propriétaire de l’essentiel du bâti, dont la cathédrale, accepteront-ils de mettre leurs prérogatives au service d’une stratégie globale de mise en valeur de l’ensemble de l’île et de ses monuments?
Regards de l’étranger
D’intéressants foyers de réflexion sont apparus à l’étranger. Architecte catalan invité à l’Université de Newcastle, Josep Maria Garcia-Fuentes a dirigé un studio de projet sur l’île de la Cité au cours de l’année 2019-2020. Des propositions pour certaines décapantes posent de manière cruciale la question de l’environnement du monument au cœur de l’une des villes les plus touristiques de la planète.
À l’initiative du Dottorato di Architettura, Storia et Progetto hébergé au Politecnico de Turin vient de s’écouler un cycle de conférences “L’île de la Cité tra storia e progetto” dont l’ambition était de dresser un état des lieux de ce délaissé urbain qu’est l’île dans ses stratifications actuelles.
Fixées aux 7 et 8 juin prochains, deux journées d’étude cette fois parisiennes sont en préparation, dont l’ambition est de mettre en rapport l’ensemble des savoirs constitués y compris autochtones et les nombreux acteurs dont dépend actuellement le sort de l’île. Elles auront les 7 et 8 juin prochains à l’INHA, 2, rue Vivienne.
Image d’ouverture: Oli Gabe, “Building upon building” (étude pour les abords de Notre-Dame e de l’Île de la Cité dressé sous la direction de Josep Maria Garcia Fuentes, School of Architecture, University of Newcastle-upon-Dyne, 2019-20)