Le 25 septembre 2009, le maire de Lyon Gérard Collomb tranchait définitivement plus d’un siècle de débats relatifs à la désaffectation de l’un des édifices les plus emblématiques de la cité rhodanienne : l’Hôtel-Dieu. Dès la fin du XIXe siècle, les médecins hygiénistes s’alarment de la présence de deux grands équipements hospitaliers en centre-ville : l’hospice de la Charité, qui sera démoli entre 1934 et 1936, et l’hôpital général pour lequel Jacques-Germain Soufflot dessinera en 1741 la spectaculaire façade sur le Rhône qui s’impose comme l’un des chefs-d’œuvre du XVIIIe siècle européen. Loin de constituer un ensemble cohérent − la longue façade, dont la construction laborieuse s’étend de 1741 à 1763, avait précisément pour vocation d’uniformiser un ensemble de constructions hétéroclites. À la veille de la Révolution, le projet n’est que partiellement achevé : seul le dôme, deux travées au nord, les deux pavillons en saillie sur le quai et les onze travées de l’aile méridionale sont élevées. Ce n’est qu’en 1821 que le chantier reprend au nord par l’achèvement de l’aile septentrionale, puis entre 1842 et 1844, l’aile sud est poursuivie par la construction des bâtiments de l’École préparatoire de médecine et de pharmacie à l’angle du quai et de la rue de la Barre. Dans les mêmes années, l’ancienne boucherie de l’hôpital est supprimée à la faveur de la construction du passage de l’Hôtel-Dieu, une longue galerie commerciale de soixante magasins conçue en 1839-1840. Quelques années plus tard, l’architecte Paul Pascalon élève les derniers bâtiments hospitaliers sur la rue de la Barre (1885-1893) dont le troisième dôme de l’hôpital au profil néo-Renaissance. Plus récemment, il reviendra à l’architecte en chef des monuments historiques Jean-Gabriel Mortamet de reconstruire le grand dôme − détruit par un incendie le 4 septembre 1944 − selon un profil plus conforme aux dessins de Soufflot. Enfin, en 1957, la façade nord se voit complètement dégagée par le prolongement de la rue Childebert et la démolition du passage de l’Hôtel-Dieu qui amènent la construction des dernières travées de l’aile septentrionale et de son pan coupé. La période contemporaine voit ainsi l’achèvement du dessein du célèbre architecte sans apporter de modification majeure en ce qui concerne la façade sur le Rhône. Un tel chantier se révèle tout à fait exemplaire – deux siècles séparent les projets de Soufflot de leur achèvement définitif – et témoigne d’une rare continuité d’intention de la part de la maîtrise d’ouvrage, c’est-à-dire des Hospices civils de Lyon.
En septembre 2009, le comité de pilotage chargé du devenir et de la réhabilitation de l’Hôtel-Dieu définit les grandes lignes d’un ambitieux projet de reconversion qui doit permettre l’aménagement d’un hôtel de luxe et de services associés (restaurants, centre de congrès et de séminaires), l’aménagement de surfaces commerciales et tertiaires. En janvier de l’année suivante, cinq équipes sont sélectionnées sur une quarantaine de candidats, sachant que chaque équipe devait comprendre un investisseur, un concepteur (binôme architecte et architecte spécialiste du patrimoine) et un groupe hôtelier. On relève en particulier les noms d’Alain-Charles Perrot, de Jean-Michel Wilmotte, de Jean-Jacques Ory et de Didier Repellin associé à Albert Constantin (AIA Atelier de la Rize). En juin suivant, quatre dossiers sont rendus, l’équipe formée par le groupe Dixence / Financière Norbert-Dentressangle, les architectes Wilmotte & Associés, Thierry Algrin et l’hôtelier Starwood se retirant en définitive de la consultation. En octobre de la même année, les projets des deux derniers concurrents en lice − Eiffage et Nexity − sont âprement discutées ; l’un des enjeux majeurs consistant à préserver les qualités patrimoniales de ce vaste ensemble immobilier et de permettre dans le même temps le développement de nouvelles activités. Le projet d’Eiffage, qui sera retenu in fine, prévoyait en particulier de créer une place avec des restaurants et des commerces sur la rue Bellecordière − à l’arrière de la façade de Soufflot −, d’aménager un hôtel de luxe (Intercontinental) avec des chambres en duplex. Son concurrent entendait pour sa part ouvrir le site en direction de Bellecour − au sud − et de faire dialoguer sa façade rhodanienne avec la rive gauche du Rhône ; les deux équipes projetant de conserver et de développer un projet muséal conformément au cahier des charges. Le 29 octobre 2010, Eiffage est désigné promoteur de la reconversion de l’Hôtel-Dieu. Les architectes du projet lauréat ne sont pas inconnus : Didier Repellin, architecte en chef des monuments historiques (honoraire) s’est illustré sur des chantiers prestigieux, de la cathédrale Saint-Jean de Lyon aux Pieux Établissements de la France à Rome, du palais des papes à Avignon au théâtre d’Orange, de l’abbaye de Sénanque à Gordes (Vaucluse) à celle de Silvacane à La Roque-d’Anthéron (Bouches-du-Rhône) sans oublier la récente restauration du Colisée. Son confrère Albert Constantin s’est distingué pour sa part dans de grands programmes sportifs et culturels − parmi lesquels la restructuration du stade de Gerland (1998) et de la Halle Tony Garnier (2000) − mais encore universitaires et tertiaires comme en témoigne la tour Incity de la Part-Dieu réalisée en 2015 réalisées en association avec l’agence Valode & Pistre. 150 millions d’euros d’investissement pour 62 000 m² à reconvertir, telles étaient les données du formidable défi à relever dans le cadre de la plus grande opération de reconversion privée d’un monument historique en France. Pas moins de 21 000 m² sont dévolus à la fonction hôtelière, qui verra l’aménagement de cent quarante chambres dans l’aile Soufflot, 13 000 m² de surfaces commerciales en rez-de-chaussée, 15 000 m² de bureaux et 3 000 m² dédiés à un centre de convention. Le curetage des îlots et des cours − 22 000 tonnes de déchets ont été évacuées, soit l’équivalent de mille semi-remorques − a permis de redécouvrir les qualités spatiales et constructives des ailes des XVIIe et XVIIIe siècles, du grand et du petit dôme, considérant que les interventions furent des plus limitées dans les parties protégées au titre des monuments historiques exception faite des contraintes liées au programme hôtelier. Il est vrai que le développement des services hospitaliers au cours des XIXe et XXe siècles ont rendu les ailes historiques complètement méconnaissables en raison de la pose de multiples cloisonnements, niveaux intermédiaires, faux-plafonds et équipements techniques. Ce travail de curetage s’est appliqué à l’ensemble des ailes historiques dans le dessein de retrouver un état XVIIIe siècle. Cette recherche de primitivisme s’appliquera également aux parties les plus récentes qui auraient peut-être pu bénéficier d’un traitement différencié ; on songe en particulier à l’ancienne École de médecine construite dans la partie méridionale du site dont le dôme couronnait originellement un amphithéâtre. L’aménagement des cours intérieures et des jardins, qui représentent près de 8 000 m² sur une parcelle de 2,2 hectares, désormais ouverts sur la ville, demeure d’une grande sobriété et cultive un caractère minéral en harmonie avec les parties historiques ; la cour du Midi a notamment été couverte d’une verrière métallique de 1 100 m² posée sur six poteaux métalliques dont le dessin aérien doit être souligné. La rue Bellecordière a vu la construction d’un imposant massif d’immeubles tertiaires qui auraient certainement mérité un dessin plus étudié notamment dans le traitement des façades comme de leur matérialité qui peinent à dialoguer avec les ailes historiques de l’Hôtel-Dieu.
Si le projet se révèle exemplaire d’un point de vue patrimonial, la vocation essentiellement commerciale du site a suscité de vives critiques ces dix dernières années d’autant que la question du devenir du pôle muséal reste entière ; ce dernier sujet ayant été très tôt écarté par les acteurs, essentiellement pour des questions économiques, malgré une pétition de dix mille signatures réunies en 2010 en faveur du maintien d’un « pôle régional de promotion de la santé » qui devait intégrer l’ancien musée des Hospices civils de Lyon dont les collections sont aujourd’hui en caisses. Une même remarque s’impose à propos de la chapelle du XVIIe siècle qui a été délibérément exclue du programme et dont la restauration laborieuse soulève d’épineux problèmes de financement. Une Cité internationale de la gastronomie (4 000 m²), proposant des dégustations de chefs étoilés a vu le jour aux côtés de halles de luxe qui ambitionnent de devenir l’une des vitrines touristiques privilégiées de la ville. Si le nouvel Hôtel-Dieu ou plutôt le « Grand Hôtel-Dieu », selon l’acception commerciale désormais en vigueur, semble avoir conquis son public, la mémoire des lieux demeure des plus ambigües au point d’occulter complètement la vocation première de ce site emblématique : le service des malades et des pauvres. On peut regretter en effet qu’aucun effort de pédagogie en direction du public n’ait été envisagé de manière pérenne pour rappeler l’histoire de l’Hôtel-Dieu et son importante à l’échelle de la cité.
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