On a tous besoin dun lieu pour rien.
Un lieu beau, bien construit, permanent et changeant, généreux et mystérieux. Deux mille quatre cents mètres carrés de marbre blanc et velouté. Cinq objets, une réserve deau et une noue.
Aigle compte 8757 habitants. Lenquête dévaluation de limage de la ville (1) conclut que «du point de vue de ses habitants, la ville dAigle ne souffre daucun problème grave touchant à la qualité de ses infrastructures ». Et pour cause. Avec un noeud ferroviaire majeur, une connexion directe à lautoroute, et plusieurs études urbaines et territoriales en cours (2), le développement de la ville est projeté durablement.
Loffre des services, de logements (3), déquipements est très satisfaisante. Et limpressionnant paysage de vignes et de montagne achève de rendre la ville désirable. La même enquête explique néanmoins qu «Aigle est [
] en manque de convivialité. Elle souffre dun sérieux déficit dimage quant à sa créativité ainsi quà la pauvreté perçue des événements ou infrastructures culturels. Elle a enfin mal en son centre-ville».
Nous libérons lespace entre le Moulin Neuf et léglise pour en faire un lieu hautement stratégique de la mémoire dAigle et offrir un vis-à-vis inédit entre les deux bâtiments. La rue de la Gare et la rue du Midi sont reliées. Chaque extrémité marque un arrêt du train Aigle-Leysin. Un vaste calepinage en marbre de Carrare, en finition frottée, recouvre le sol. Cinq objets, également en marbre (finition adoucie) complètent le dispositif : une colonnade triangulaire, une porte pivotante, une passerelle, un mur perforé, et un escalier. Nous ne leur attribuons aucune fonction, aucun usage. Leur silhouette fait appel à des sensations anciennes, une impression familière et bienveillante. Ces figures urbaines, implantées très précisément entre elles, accompagnent dans un même temps les bâtiments environnants: la colonnade et léglise, lescalier et le pignon sud du Moulin Neuf, le mur perforé et le jardin de la maison aux volets verts, la passerelle et les arches du bâtiment jaune rue de la Gare, la porte pivotante et la façade est du Moulin Neuf. Lensemble nindique aucun programme particulier, mais devient le support dune aménité au renouvellement permanent.
Leau de pluie remplit tous les mois une réserve en pente douce. Une chasse à auget dissimulée sous la passerelle régule le niveau en fonction de lutilisation de la place. Ni avaloir, ni grille. Aucune pièce de fonte ni dispositif dévacuation souterrain. Seulement du marbre et une eau à la stagnation contrôlée, support de nouvelles activités. Les eaux de ruissellement du parvis de léglise sont collectées de façon superficielle dans une noue à hélophytes. Sur le reste du marbre, le traitement frotté de la pierre le rend volontairement poreux. Au fil du temps et de lorientation solaire, les lichens et mousses colonisent le sol, redessinent les contours de lespace. Blanche dans les lieux ensoleillés, la pierre devient grise, brune, verte dans les coins abrités.
(1) Evaluation de limage de la ville dAigle, Haute école de gestion ARC, et Heig-Vd, Sous la direction de Dr Nicolas Babey. Janvier 2010
(2) Proposition dun concept multimodal de déplacements à léchelle de la ville dAigle, Transitec, juin 2010, Requalification du centre
daigle, Rodolphe Luscher, Mars 2010
Projet dagglomération du Chablais, Team +, Mars 2011
(3) Projet de logements « sous le bourg », remporté par LEMANARC SA. Décembre 2010