Au terme de 15 années de fermeture, marquées de longues négociations avec la ville, un conflit patrimonial d’une rare intensité et sept années de travaux, de nombreux espaces emblématiques des deux blocs qui constituaient le cœur du centre commercial ont été profondément modifiés
PARIGI. À Paris, les projets de reconversion les plus en vue offrent depuis quelques années le témoignage de la conciliation d’impératifs et d’intentions contradictoires. Les perspectives d’une rentabilité immobilière retrouvée ou accrue se fondent de plus en plus souvent sur la montée en gamme inéluctable d’un patrimoine désormais dévolu à la consommation et au tourisme de luxe, stratégie qui s’accompagne invariablement du recours à une star de l’architecture. Souvent vécues comme un carcan, les réglementations urbaines et patrimoniales s’accompagnent de demandes quantifiées de la part de la Ville en matière de création de logements sociaux et d’équipements de quartier à insérer dans les ensembles réhabilités. Il s’ensuit des tractations entre les parties dont les opérations réalisées offrent parfois un témoignage caricatural. La Poste du Louvre, la Bourse de Commerce et bientôt l’Hôtel-Dieu appartiennent à cette génération d’interventions. Pour relever du secteur privé, la Samaritaine n’a pas échappé à cette mainmise des pouvoirs publics qui a eu un fort impact sur la programmation du bâtiment. Aux yeux de la maîtrise d’ouvrage, l’équilibre financier de l’opération exigeait une surélévation de l’existant, et partant, une modification du PLU. C’est à la faveur d’un compromis prévoyant notamment l’insertion d’un volet social important que les permis ont été accordés. Initialement dévolu de fond en comble à l’exposition et à la vente de produits de grande consommation, l’ancien grand magasin populaire a fait l’objet d’un dépeçage. Aujourd’hui concentrées dans le socle du bâtiment, les surfaces de vente ont été réduites au tiers environ des volumes disponibles, au profit d’un programme de bureaux, mais aussi de logement social et d’une crèche de 80 berceaux ; envisagé dans un second temps, un hôtel de luxe – l’hôtel Cheval Blanc – est venu occuper le devant de l’îlot côté Seine, au derrière de la fameuse façade iconique Art Déco dessinée par l’architecte Henri Sauvage. D’abord pressentie pour reconfigurer la totalité du grand magasin, l’agence nippone Sanaa, prix Pritzker 2010, a dû s’accommoder de ce panachage programmatique et de la démultiplication de la maîtrise d’œuvre : Jean-François Lagneau, architecte en chef des Monuments historiques, pour les parties classées, François Brugel, spécialiste de la réhabilitation pour les surfaces affectées au logement social, Édouard François pour la partie hôtel, côté Seine, enfin, l’agence SRA Architectes, en appui à la conduite des opérations. Une nuée d’architectes d’intérieur s’est partagée le gâteau de la requalification des intérieurs, qui offrent maintenant un aspect opulent et chamarré.
Programme inadequat pour une operation de facadisme
Sur le plan architectural, à l’exception de la conservation certes notable mais limitée aux grands volumes Art Nouveau de l’architecte Frantz Jourdain – les anciens halls de la parfumerie et de la maroquinerie, magnifiquement mis en valeur, à l’exception des planchers de verre -, l’opération relève indiscutablement du façadisme. Un façadisme toutefois tempéré par l’abandon du « tout béton » envisagé dans un premier temps, et le recours à une structure métallique. À l’arrière des élévations pour l’essentiel conservées et minutieusement restaurées, la reconstruction des volumes au trois quart démolis s’est faite dans la continuité structurelle du bâtiment originellement pensé en métal et verre. Le parti d’un séquençage d’espaces baignés de lumière naturelle dont les halls de la maroquinerie et de la parfumerie demeurent aujourd’hui encore le morceau de bravoure, a donné lieu à la création de vastes cours, à l’architecture de goût international, où, visiblement bridé par un contexte de production contraint, le génie habituel de l’agence Sanaa n’a guère trouvé à s’exprimer. Une succession de volumes vitrés couverts de verrières d’une facture où se reconnaît le savoir-faire de l’agence japonaise caractérise toutefois l’enchaînement et la fluidité d’une circulation qui fait allégeance à l’esprit du passage parisien. Si le public devait originellement déboucher sur le quai du Louvre, cette intention a été anéantie par le rempart infrangible que constitue l’hôtel Cheval Blanc en proue sur la Seine, dont le programme ne peut intégrer la terminaison logique de la galerie commerciale. L’ampleur donnée au volet social génère quant à elle une répartition arbitraire et aléatoire des surfaces de logement, situées à cheval entre d’anciennes maisons conservées rue de l’Arbre-Sec, qu’il aura fallu en définitive presque entièrement reconstruire, et une portion non négligeable des anciens plateaux commerciaux dans la partie Art Nouveau du Magasin 2. Mais pour qui déambule dans la galerie commerciale, rien ne se voit de ce saucissonnage des surfaces et des mitoyennetés arbitraires qui en résulte.
La suppression des anciens planchers de verre
La facciata ondulata su rue de Rivoli
Quoi qu’on pense de la façade conçue par Sanaa sur la rue de Rivoli, violemment contestée, et dont l’arrivée retardée sur la scène internationale parmi d’autres façades ondulées tout aussi remarquables n’en fait plus un coup d’éclat, on s’étonne de l’existence et de la lourdeur d’un couronnement que certains ont d’abord cru provisoire, mais pourtant bel et bien pérenne. S’il paraissait presque vaporeux dans les études d’impact, l’étage-attique parasite de ses pans coupés disgracieux les plis cristallins et l’immatérialité évanescente de la façade qu’il couronne. Rien cependant ne pouvait laisser prévoir que cette disposition s’alourdirait encore de la présence incongrue de deux pitoyables caissons de ventilation, émergences techniques dont les parties anciennes de l’édifice, protégées au titre des Monuments historiques ont été pour leur part soigneusement épargnés. Déconcertante pour le connaisseur comme pour l’amateur, cette négligence nuit à la démonstration qu’on attendait de l’agence Sanaa sur le sol parisien et à la justesse de l’apport contemporain qui devaient marquer la rénovation du grand magasin. L’estompage de ces émergences ingrates sur toutes les photos destinées à la presse témoigne de l’embarras de la maîtrise d’ouvrage. Tout aussi puissante, dogmatique et monumentale que celle du Louvre voisin, la nouvelle façade côté Rivoli n’en demeure pas moins un apport magistral de l’agence Sanaa à la réhabilitation de front urbain de cette portion contrastée de la rue de Rivoli.
La famosa terrazza: ad uso della suite
Au moment où s’ouvrira l’hôtel cinq étoiles Cheval Blanc, côté Seine, dont l’inauguration a été différée, le public jusqu’ici peu instruit du fait, et dont la maîtrise d’ouvrage espère peut-être que les 15 ans de fermeture du magasin l’ont rendu amnésique, finira par découvrir le sort assigné à la célèbre terrasse panoramique. Haut-lieu de rencontre parisien et du tourisme international, cette terrasse sommitale dont l’existence et l’accessibilité ont été défendues comme un témoignage insigne du patrimoine immatériel de la capitale a fait du point de vue de son affectation l’objet d’un arbitrage déconcertant. Des considérations réglementaires relatives aux édifices de grande hauteur (IGH) et recevant du public (ERP) sont venues à l’appui d’une privatisation de ce balcon sur la ville, désormais réservé à l’usage exclusif des clients de l’une des deux suites, dite «présidentielle», qui se déploie aux 8e et 9e étages du bâtiment. Cette confiscation d’un lieu naguère quasi public peinera à rallier à la cause de la spectaculaire mais discutable métamorphose des Magasins 2 et 4 tous ceux qui ont connu l’ancienne Samaritaine, dont le nom même, évoquait la profusion et la simplicité, la bonhomie et l’accessibilité à toutes ses parties.
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parigi , restauro , Sanaa
Last modified: 2 Luglio 2021