PARIS. « La vie est faite de souplesse et de jeu, il faut un certain jeu pour que vive la vie : le bois joue, le ciment joue, la pupille se dilate et s’adapte, ainsi de toutes choses vivantes », affirmait Charlotte Perriand (1903-1999). Femme de l’art intrépide, elle n’a cessé d’explorer la palette des matériaux et des techniques les plus innovantes et de marier avec aisance l’art et l’industrie, des matériaux naturels et l’artisanat. Issue de l’école des arts décoratifs, elle crée son atelier d’architecture intérieure et intègre l’avant-garde dès les années 1920 en concevant des meubles tubulaires présentés au salon d’automne en 1929. Elle est alors de plain-pied avec Djo-Bourgeois, René Herbst et Le Corbusier, ses homologues masculins. Elle participe à l’UAM (Union, des artistes modernes) et aux CIAM (Congrès internationaux d’architecture moderne). Auprès de Le Corbusier et Pierre Jeanneret, elle contribuera notamment aux aménagements de la villa Savoye (1931), de la Cité du refuge (1933) et du Pavillon suisse à la Cité universitaire (1934). A toutes les échelles, de l’architecture, du design et des arts décoratifs, elle mobilise au gré des programmes et des lieux, le métal, le bois, le bambou, la pierre, la tôle émaillée, le verre, le polyester, le caoutchouc ou autre et se nourrit de l’influence du Japon et du Brésil sans négliger les sources du vernaculaire pour construire un nouvel art de vivre qui lui vaut aujourd’hui une place de choix parmi les grands créateurs d’avant-garde du XX è siècle.
Si son collier roulement à bille (1927), sa bibliothèque nuage (1958), sa chaise Ombre (1955) ou sa chaise longue basculante co-signée avec Le Corbusier (1928) sont aujourd’hui iconiques, ses projets de bâtiments préfabriqués pour une Maison au bord de l’eau (1934) ou sa « Maison du jeune homme » (1935) imaginé avec René Herbst et Louis Sognot lors de l’Exposition internationale de Bruxelles, ont aussi marqué les esprits. Il en va de même de son refuge tonneau (1938), de son rôle d’architecte urbaniste à la station de ski des Arcs (1967-1989). Rappelons aussi sa mission de conseillère pour l’art industriel auprès du gouvernement japonais à Tokyo où elle vécut de 1940 à 1946 avant d’y abolir les frontières des disciplines lors de son exposition « Proposition d’une synthèse des arts » (1955) qui réunissait Léger, Le Corbusier, Hartung et Pierre Soulages.
Vingt ans après sa mort, la Fondation Louis Vuitton lui consacre une splendide exposition. Signées ou co-signées par elle-même et les grands artistes de son temps, 400 œuvres accompagnées de reconstitutions soulignent les liens dont témoigne son œuvre entre design, architecture et art. Déployée dans la totalité des espaces de la Fondation, ce qui est une première, la présentation scénographiée par Jean-François Bodin est rythmée par plusieurs reconstitutions sous l’égide de l’architecte Arthur Ruëgg, éminent spécialiste de ce type d’interventions. Au fil de onze galeries, le parcours chronologique aborde notamment la construction de la modernité, le retour vers la nature au nom d’un renouveau de l’habitat, les collaborations avec les artistes, les chambres d’étudiants minimalistes conçues pour la Maison du Mexique (1952) et la Maison de la Tunisie (1952), l’exposition de Tokyo et le séjour à Rio, construire et habiter la montagne ou encore les contributions de Perriand au monde des musées et des collectionneurs : musée d’art moderne (1965), appartement de Maurice Jardot (1978) et galerie Louise Leiris (1989).
Particulièrement captivantes, les reconstitutions historiques placent le visiteurs au cœur de l’univers de de Perriand en l’entraînant tour à tour dans l’appartement-atelier de la place Saint-Sulpice (1927), au Salon d’Automne (1929), dans la Maison du jeune homme, la Maison au bord de l’eau ou le refuge Tonneau. Dans la dernière galerie où elle fait écho à l’architecture de Frank Gehry, la clôture du parcours revient à la reconstruction de la Maison de thé créé pour l’UNESCO (1993).
Autour des héritiers de Charlotte, sa fille Pernette Perriand-Barsac et son gendre Jacques Barsac -principaux commissaires de l’exposition- et d’Arthur Ruëgg, les historiens Sébastien Cherruet, Gladys Fabre et Sébastien Gokalp ont été réunis, assistés de Roger Herrera et d’Oliver Michelon de la Fondation Louis Vuitton.
Si cette exposition mérite sans conteste d’être saluée, elle invite néanmoins à s’interroger sur la part de spéculation qu’elle pourrait sous-tendre si l’on songe aux prix qu’atteignent aujourd’hui les meubles et les œuvres des pionniers de la modernité quand les institutions, les galeristes, les collectionneurs, les fabricants, les marchands d’art et les ayant droits s’attèlent à les mettre en valeur, quite à s’affronter parfois sur l’attribution de telle ou telle œuvre.
“Le monde nouveau de Charlotte Perriand”
Fondation Louis Vuitton, Paris
2 octobre 2019 / 24 février 2020
Catalogue : Fondation Louis Vuitton / Editions Gallimard
[…] Prawe zdjęcie: Charlotte Perriand przy pracy z japońskimi rzemieślnikami, lata 40. XX w.; © ACHP/ADAGP 2020; źródłoLewe zdjęcie: Charlotte Perriand, projekt wystawy w Tokio, 1941; © ADAGP; źródło […]